2 ans auparavant, Le salaud

Morgan était sur la route vers Almogar quand un message arriva sur son l'implant. Il contenait une vidéo de mauvaise qualité, une scène confuse : Lise, dans sa petite robe Lacoste rose à fleurs blanches, se battait contre un homme masqué si grand et si fort qu'il la secouait comme un sac de chiffons. Le cœur de Morgan s'emballa. L'homme souriait dans un masque en filet, avec, en l'arrière-plan, la cuisine en teck cérusé de la maison de Morgan. Lise se débattait vigoureusement pour échapper à son agresseur titanesque, en criant sous l'effort comme une joueuse de tennis. L'homme mit les deux poignets de Lise dans une main trois fois plus grosse que celles de Lise et il la suspendit devant la caméra comme un vendeur de foire montre un lapin. Lise, avec une combativité et une agilité remarquable, lui donna un coup de pied dans les parties que l'homme ne tenta même pas d'esquiver. Morgan se demanda avec une pointe de panique où était Esmeralda, avant de se souvenir que Theresa était partie avec elle pour la journée au parc d'attraction. L'homme vint face à la caméra et dit : « Minou, minou ! Viens chercher ta copine ma grande ! Faut qu'on cause. Allez, viens chercher cette adorable petite salope avant que je lui fasse son affaire. » Joignant le geste à la parole, il malaxa les seins de Lise. Et il dut lui faire très mal, car elle cria et lui donna des coups de pieds, ce qui le fit rire. « Hey, dépêche-toi, je bande déjà. Mais fais bien attention : si tu appelles les flics, je la bute. Tu as jusqu'à dix heures. À dix heures tapantes, si t'es pas arrivée, je la saute. Et souviens-toi bien : à la première indication que tu as vendu la mèche, elle est morte. Aussi sec. » Pour rendre sa menace plus explicite, il dégaina un grand couteau qu'il avait à la ceinture, une arme de chasse d'au moins vingt centimètres de lame dont le dos était hérissé de piquants alambiqués. Il en appliqua le tranchant à plat sur le cou de Lise qui s'immobilisa, la mâchoire serrée, les yeux exorbités par un accès de terreur. Il se tourna vers la caméra : « Allez, amène-toi ma grande, faut qu'on cause. Et pas de police. » Morgan consulta l'horloge : 9h28. Sur l'autoroute, pour faire demi-tour, il fallait attendre l'échangeur suivant. Pilote automatique désactivé, pied à fond sur l'accélérateur, la voiture bondit en rugissant. Elle appela Almogar pour prévenir qu'elle allait être en retard. À fond de boîte et de moteur, deux fois la limite autorisée, tant pis pour les radars. Le trafic était très peu dense. Elle se mit à doubler alternativement par la droite et par la gauche en faisant hurler les pneumatiques. On la klaxonna copieusement. Dès qu'elle approchait d'un site suspect, elle freinait à mort avant d'enfoncer sauvagement l'accélérateur. Malgré ces précautions, son téléphone sonna : amende. Si une patrouille l'interceptait à cette vitesse, c'était menottes et aller simple pour la prison. Elle leva le pied. Lorsqu'elle tenta de se connecter sur le réseau de la maison afin de joindre Rita, elle échoua. Michael était en cours, il utilisa son implant pour répondre en chat.

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Michael> ui ? tvb ?-)

Morgan> J'ai besoin de toi pour joindre Rita.

Michael> ce soir ok ?-(

Morgan> Non, Michael, c'est très urgent. Si tu devais parler avec Rita, là, maintenant, si c'était une question de vie ou de mort, tu ferais quoi ?

Après quelques secondes, il répondit :

Michael> rez tot naze. woa. super pas normal :-o

Morgan> Je sais. Et c'est ton dernier mot pour Rita ?

Michael> niet ;-)

Morgan attendit presque une minute avant de le relancer.

Morgan> ? ? ?

Michael> 2 sec. rita interface radio secours. vieux standard merdique :-(

Morgan> ? ? ?

Michael> voix marche pas. sms ok :-)

Morgan> Quoi ? Explique !

Michael> tinkiet. ia mio habla sms :-*

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Morgan ici Rita.

DANGER !

Lise agressée par inconnu très grand, très fort, très équipé.

Anomalies sévères :

* Alarme maison pas déclenchée par intrusion

* Réseau coupé

RECOMMANDE APPELER POLICE

Attends instructions

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Il a dit : tuera Lise si police. Comment lui savoir police prévenue ?

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Vu technologies mises en œuvre afin pénétrer maison et prendre contrôle systèmes, possible menace réelle.

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Morgan ouvrit la boîte à gants et en sortit le Tazer qu'elle gardait là. Elle l'empocha et répondit à Rita :

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Pas de police. Ne tente à aucun moment de les appeler. J'arrive. Donne toute information utile.

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Dans la seconde qui suivit, elle reçut un message du salaud :

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Alors ma grande, tu attends quoi ? Noël ?

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Elle pensa à Lise et se mit à trembler de plus belle. Elle ne se souvenait pas avoir tremblé ainsi, même après qu'elle fut entrée en territoire ennemi pour une de ces missions de nuit où ils avaient su qu'ils allaient se faire tirer dessus de tous les côtés. Elle aperçut au loin les feux de détresse des véhicules qui s'allumaient en cascade. Au même instant, elle reçut sur son implant un message d'urgence du centre de surveillance du trafic : un camion de carburant était en feu sous l'échangeur à l'entrée de Santa-Maria. Dernière chance, la sortie, juste là. Debout sur les freins, Morgan traversa sauvagement les trois files de l'autoroute afin de prendre la bretelle, coupant in extremis la route à un camion dont l'avertisseur au son de corne de brume sonnait encore quand elle s'arrêta en bas de la rampe afin de consulter la carte d'état-major qui dormait dans son implant, car, de cette sortie, on ne pouvait atteindre qu'un quartier résidentiel accroché à flanc de montagne, à moins que... Une idée à vérifier sur la carte... Elle démarra en trombe. Sur sa route, les rares passants se retournaient et jetaient des regards désapprobateurs au passage de cette voiture au moteur en surrégime, aux pneumatiques qui crissaient en permanence sous les alternances des efforts en courbes, en accélération et en freinage. Elle doubla une camionnette à trois fois la vitesse maximum autorisée. Elle tourna en chassant brutalement afin d'attaquer une allée qui escaladait la colline tout droit, puis à droite dans une ruelle très étroite où elle pria sincèrement pour que personne ne vienne en face. Au bout de la venelle l'attendait un chemin de pompier à peine carrossable qui passait dans le maquis par-dessus le sommet de la montagne avant de redescendre en épingle vers la vallée sur les contreforts de laquelle se tenait la maison. Avec Lise, elles avaient pris ce chemin à vélo une ou deux fois. C'était un coupe-feu plus qu'autre chose, très raide, parsemé de dalles de rocher affleurantes. Les marches en question étaient remplies de pierres dont certaines étaient grosses comme des ballons de football. Morgan vérifia la tension de sa ceinture de sécurité. Elle avait acquis ce tic à la guerre, aux commandes de son hélicoptère, quand ils approchaient d'un danger. Elle apostropha la voiture : « Allez, vas-y ! Tu vas nous montrer ce que tu as dans le ventre ! Ne me lâche pas maintenant ! » Le 4x4 attaqua la pente très raide. Les roues ripaient sur les pierres qui fusaient et cognaient dans la carrosserie, couvrant par moment le rugissement du moteur.

Un message de Rita arriva.

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Morgan,

Activité faible. Respirations clairement perceptibles.

Lise vivante, probabilité 99%

Position : devant baie vitrée salon, probabilité 94%.

Homme monologue lent, haché, verbatim :

Alors, chérie, être attachée, c'est ton truc, hein ? Elle doit se faire des angoisses, ta sauterelle black, parce que je lui ai organisé une petite surprise à ma façon. C'est con c'que ça brûle bien l'essence. Et du coup, nos amis les condés sont bien occupés. Hey ! Tu sais que t'es super bien gaulée pour ton âge ? J'adore ton petit cul. Montre-moi ça encore. Hum ! Ça doit être le vélo, c'est méchamment ferme tout ça !

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La piste devint très difficile. La voiture sautait de pierre en pierre en cognant horriblement. La végétation avait commencé à prendre le dessus et les branchages lacéraient les portières, mais ce n'était rien en regard des mauvais traitements que le relief faisait subir à la mécanique. Le carter avait talonné à plusieurs reprises sur les dalles rocheuses qui affleuraient. Une demi-douzaine d'icônes clignotaient en rouge au tableau de bord et une alarme sonnait. Le sommet était proche, Morgan garda son pied appuyé à fond sur l'accélérateur. Soudain, le train avant tomba dans un fossé caché par la végétation, projetant Morgan contre sa ceinture de sécurité dans un vacarme de métal gémissant. Morgan fit rugir le moteur, joua en force avec le levier de commande de la boîte. Une épaisse fumée blanche qui piquait le nez s'échappait du capot. Un grand boum alluma le tableau de bord comme un arbre de Noël. Morgan sauta dehors. Son vélo était attaché dans la benne, elle y grimpa pour le libérer. Elle mit son casque et enfila ses gants en s'hyperventilant. Puis elle jeta le vélo sur son épaule afin d'attaquer le raidillon vers le col tout proche, avec l'intention de l'atteindre à la limite extrême de sa capacité cardiaque. En haut, elle ignora la vue extraordinaire sur la baie que ce franchissement lui dévoila. Son implant lui donna l'heure : 9h47. Elle attaqua la descente, reculée à fond sur la roue arrière, car à cet endroit la pente à travers le chaparral était très forte, le précipice vertigineux, et le sentier étroit et très sinueux, piégé par des pierres roulantes, une véritable tuerie. Quand elle atteignit la lisière de la forêt dans le nuage de poussière qu'elle avait levé, elle reçut un message de Rita :

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Agresseur Lise utilise fréquence publique information suivi trafic routier.

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Très bien, il la croyait bloquée dans le bouchon. Elle commença à composer sa réponse à Rita en utilisant les commandes virtualisées de son implant. Avec les vibrations de la fourche qui la secouait comme un marteau-piqueur emballé et son attention concentrée sur le pilotage, c'était un exercice très ardu. Soudain, au détour d'une courbe, un arbre couché barrait la route. L'obstacle était trop haut pour être sauté, elle cabra le vélo afin d'amoindrir un impact inéluctable. Le vélo accrocha. Son casque lui sauva la vie tandis qu'elle passait par-dessus le guidon comme une fusée, que son épaule gauche venait heurter le sol avec violence à la réception du vol plané. Elle roula dans les pierres. Elle se releva aussitôt. Elle haleta quelques coups. Elle bougea expérimentalement. Son épaule lui faisait très mal. Ses vêtements étaient déchirés. Ses coudes et ses genoux saignaient. Elle vérifia la présence du Tazer dans sa poche : il y était toujours. Elle remonta inspecter son vélo enchevêtré dans l'arbre : la fourche était fusillée. Elle se détourna et se mit à courir en accélérant franchement. Alors que les premières maisons apparaissaient, elle jeta son casque dans le fossé. Elle reprit son édition du message pour Rita et l'envoya :

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Comment entrer maison sans lui savoir ? Pièges ?

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Il restait à peine un kilomètre, il était 9h52. Avec ses grandes jambes et son poids plume, elle courait naturellement vite et, du fait de son entraînement de fond, une telle distance n'était rien pour elle. On disait aussi que les gens de son origine ethnique avaient pour la course un avantage génétique. À cet instant, en réglant sa respiration, elle voulut que cela soit vrai, et elle en remercia silencieusement ses ancêtres. Une vieille dame qui taillait ses rosiers la vit passer et resta bouche bée à la vision de cette gazelle qui passait comme un avion au milieu de la rue dans le crissement de ses semelles sur l'asphalte. Un message de Rita arriva :

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Recommande arriver par porte de devant.

Centrale domotique compromise. Quasi-certitude pièges/traceurs associés.

Demande permission mise en oeuvre agent KMR.

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Accordé. KMR ?

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KMR agent intrusif, utilise failles protocoles, origine warez fiable.

Attaque réseau cible centrale domotique.

Envoyez message en clair : « go » pour déclenchement attaque.

Estimation temps prise contrôle : 21-37 secondes.

Si succès, porte ouverte, surprise pour vous.

IMPORTANT :

1) Jetez téléphone loin avant maison.

2) Désactivez implant.

Morgan, bonne chance.

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Quand Morgan arriva au bout de la rue, hors d'haleine, il était 9h55. Elle lança le message : « go », à destination de Rita, avant de jeter son téléphone dans une haie et de mettre son implant en sommeil. Elle ralentit deux portails avant le sien afin d'avoir le temps de reprendre du souffle. Dans sa poche, sa main se serra sur le Tazer. Elle se força à marcher vers la maison, se souvenant de ce qu'un sergent instructeur lui avait appris des années auparavant : « En présence d'un ennemi non localisé, on ne court pas, même à l'assaut ». En surveillant son rythme cardiaque qui se calmait, elle se répéta plusieurs fois, afin de résister à la tentation : on ne court pas, même à l'assaut. Quand elle fut à deux mètres de la porte, celle-ci s'ouvrit avec un déclic presque imperceptible. Elle essuya la sueur sur son front qui menaçait de rouler dans ses yeux et elle prit une grande inspiration avant de pousser la porte de sa main libre. Elle sortit le Tazer de la poche et braqua l'arme devant elle en entrant, laissant la porte se refermer silencieusement derrière elle. L'écran du couloir qui en temps normal affichait en boucle des reproductions d'impressionnistes était inerte. Quand elle approcha, il s'anima : « Morgan, bonne chance », répétée à l'infini, comme un murmure. Elle s'avança et le tableau suivant clignota à son tour : il s'y afficha une vue tactique à très haute résolution du salon, synthétique et stylisée. On y distinguait une représentation simplifiée de Lise et de l'homme dans un champ de plans translucides qui indiquaient les angles par la porte ouverte. Morgan s'arrêta une seconde afin de mémoriser cette vue. En dessous, une courte vidéo jouait en boucle. On y voyait l'homme qui passait dans le champ des caméras de surveillance du système d'alarme de la maison. Il était vrai immense. Son gilet pare-balle y était rehaussé en bleu vif. Une tache jaune s'allongeait à sa ceinture et un trait rouge fluo clignotait pour attirer l'attention sur une zone sous son bras. Morgan lut :

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Module combat rapproché Tz-11 rapporte :

* Homme 185 cm +/- 5, 130 Kg +/- 10, entraîné combatif très mobile (90%).

* Couteau, lame longue 18 cm +/- 2.

* Arme de poing sous aisselle gauche. Type non confirmé.

Morgan, ATTENTION : Tz-11 NE VOUS DONNE AUCUNE CHANCE EN COMBAT À MAINS NUES.

Suppose vous êtes armée ( ? ).

Tz-11 recommande formellement : TIREZ À VUE, SANS SOMMATION.

Analyse visuel indique gilet pare-balle, probabilité 97%.

Tz-11 insiste : VISER TÊTE.

Morgan, bonne chance.

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Elle commença à avancer avec circonspection. Elle eut l'intuition fulgurante que tout allait se jouer en une fraction de seconde. Elle passa le coin et les vit. Comme prévu, il était de dos, devant Lise, très grand, carré, massif, une véritable montagne de muscle. Un rictus de dégoût crispait les joues de Lise dont le petit sein disparaissait sous une énorme main poilue. Une alarme bipa à la ceinture de l'homme et il se déplia, rapide comme un serpent, en se tournant vers Morgan. Déjà, sa main droite montait vers l'arme pendue sous son bras gauche. Ses yeux s'étaient braqués vers Morgan à travers son horrible masque. Le reste se joua le temps d'ouvrir la bouche pour dire quelque chose, et pourtant une partie entière qui se décide : deux vies en jeu, au maximum un seul survivant. Tous ses soldats surpris face à face, ces flics et ces voleurs... Un éclair et puis s'en vont. La vie qui bascule en un instant. Pas de réponse prudente. Pas le temps de compter. Pas même le temps de réfléchir. Le faire, seulement le faire. Le Théorème de Schwartz, implacable contradiction à toutes ces scènes hollywoodiennes ridicules où on se tient mutuellement en joue à bout portant en vociférant des menaces, histoire de laisser le temps à un troisième larron de faire tourner la table. Si tu l'as en joue et que tu tires, pauvre pomme, il sera mort avant d'avoir eu le temps de te voir presser la détente. Chaque milliseconde qui passe et que tu ne le fais pas, lui donne l'opportunité de le faire à ta place. Comment, avec une telle équation, avoir moins d'un mort à la fin du calcul ? Morgan tira une fraction de seconde avant d'être dans l'alignement du canon de son ennemi. La décharge électrique du Tazer jeta le salaud au sol. Pourtant, au lieu de tomber en catatonie, il roula sur le ventre et sembla sur le point de se remettre sur pied. Morgan tira à nouveau. Il roula sur le dos. À trois reprises il fut soulevé du sol, tendu entre l'arrière de son crâne et la pointe de ses talons. Morgan s'arrêta au-dessus de lui, le bras tendu. Elle s'était juré de le tuer, mais c'était sous le coup de la peur et de la colère. Elle se tourna vers Lise, ligotée et impuissante, qui la regardait de ses yeux écarquillés. L'homme émit une sorte de râle et bougea. Morgan retourna son attention sur lui et elle actionna le Tazer. Comme il ne se passa rien, elle appuya sur la détente à plusieurs reprises. Un voyant rouge clignotait. Elle lui décocha un formidable coup de pied en pleine figure, de toutes ses forces, qui lui explosa le nez et la mâchoire, envoyant une dent rouler à l'autre bout de la pièce et arrachant son masque. En suivant la dent du regard, Morgan vit l'arme là où le bras de l'homme mis en extension par l'impulsion de la première munition du Tazer l'avait projetée. Elle alla s'en saisir. C'était une arme de terroriste en composite. Elle identifia le cran de sûreté : il était mis. D'instinct, elle le retira. Elle jeta son Tazer de pacotille derrière le bar et empocha le pistolet. Revenant vers l'homme, elle fouilla rapidement ses poches. Elle y trouva des outils et des gadgets, des modules informatiques divers, dont une unité de stockage qu'elle empocha. À l'exception du couteau, qu'elle fit glisser au sol hors de portée, elle ne trouva aucune arme. Elle avait très chaud, la sueur coulait dans ses yeux, elle essuya ses sourcils du revers de manches. Elle finit par trouver ce qu'elle cherchait : des serres-câbles en nylon comme ceux qui liaient les poignets et les chevilles de Lise et une petite pince coupante d'électricien pour les couper. Elle attacha solidement les poignets de l'homme. Normalement il aurait fallu le faire dans son dos, mais il était trop lourd. Ensuite, elle se tourna vers Lise pour la détacher. Lise lui tomba dans les bras, hébétée, tremblante. Morgan lui chuchota : « C'est fini. C'est fini. » Lise tremblait comme une feuille. Morgan lui caressa les cheveux en répétant : « C'est fini. C'est fini. » Elle berça Lise qui tremblait avec des convulsions en pleurant. Après quelques instants, elle eut très chaud et elle s'écarta un peu de Lise pour retirer son blouson. Il s'écoula ensuite un moment de calme relatif. Et puis, tournant la tête de côté, Morgan vit l'homme qui se retournait sur le ventre. Elle sursauta avec violence. Il ne bougeait pas comme un homme qui vient de passer à deux doigts de la mort et n'attend plus que les secours. Il bougeait comme un soldat blessé qui va dégoupiller sa dernière grenade. Il remontait en même temps un genou et baissait ses mains liées. Morgan aperçut l'arme à sa cheville, une vilaine petite chose noire dans un étui que le bas de son pantalon avait tenu caché. Elle lâcha Lise et bondit sur ses pieds. Elle s'élança vers lui en préparant son meilleur pied pour frapper la main armée qui se levait. Et elle parvint à temps pour lui décocher un coup de toute sa force, un tir de buteur, qui trouva le poignet du salaud et envoya la petite arme claquer contre le plafond. L'homme poussa un cri de douleur et de rage. Cependant, au même instant, avec une agilité terrifiante, il expédia Morgan au sol d'un balayage de sa jambe lancée le long du sol. Morgan tomba sur son épaule blessée et il la cueillit d'un coup de ses deux poings dans le ventre, si fort qu'elle crut qu'elle allait perdre connaissance, tandis que l'homme se relevait avec une souplesse et une vivacité stupéfiante. Dans le même élan, il commença un mouvement tournant autour d'elle.

— Alors, ma grande, t'es en avance, cracha-t-il en essuyant son nez sanguinolent. Ma salope, bien joué ! T'as bien failli m'avoir !

Il s'arrêta pour aller chercher son couteau et libérer expertement ses mains avant de remballer machinalement son sexe flasque et de refermer son pantalon par-dessus, puis il ajouta en secouant la tête :

« Putain de salope ! En plus d'être noire comme une merde de chien qui a mangé trop de viande, t'es une vraie teigne !

Et il lui décocha un coup de pied dans les reins. Morgan roula sans un cri. Il cracha par terre un peu de sang.

« Salope de Schwartz. Tu sais que j'aime ça. De la nana qui se défend. Lève-toi !

Il tourna encore et alla ramasser la petite arme noire tombée au pied du bar, qu'il empocha.

« Relève-toi, hurla-t-il en se penchant vers Morgan, et au passage, il fit un regard de fauve à Lise qui s'était assise en boule dans le coin du mur, sans même savoir comment elle avait reculé pour arriver là. Il se tourna vers Morgan pour lui siffler :

« Tu veux te battre, et bien vas-y ! Vas-y ! Amène-toi ! Allez conasse, relève-toi ! Amène-toi !

Il fit quelques tours autour de Morgan, comme un loup enragé. Lise, stupéfaite, vit que Morgan relevait la tête, tentait de se mettre sur un coude. Le salaud se pencha sur elle. Morgan tenta sur lui le même balayage dont elle avait été victime. Il trébucha à peine. Pourtant, Morgan y avait mis tout ce qu'elle avait. Il l'attrapa par un bras et sans la moindre peine, il la remit sur pieds. Alors, tandis que Morgan armait son bras, il lui infligea un énorme coup de poing dans la vessie, si fort qu'il la souleva sous l'impact. Lise s'entendit crier à la place de Morgan, et elle se leva, sans avoir décidé de le faire. Elle se jeta sur lui toutes griffes dehors. Elle lui enfonça ses ongles simultanément dans le cou et dans le bras qui se levait pour frapper à nouveau, elle s'accrocha à lui de toutes ses forces. Elle ne parvint ni à le faire plus que vaciller, ni à l'empêcher de décocher à Morgan un autre coup dans le ventre. Ensuite, il passa une main en arrière pour agripper Lise par les cheveux, et il l'arracha de son dos comme une vulgaire tique. Il l'envoya voltiger dans la table et les chaises, où Lise atterrit à grands fracas en se meurtrissant les côtes et la hanche. Pourtant, elle se releva tout de suite et se tint, haletante, hébétée par la souffrance et la rage, tandis que l'homme attrapait Morgan par la gorge et la soulevait du sol contre le bar en faisant gonfler un biceps plus épais que la cuisse de Morgan.

« Conasse, lui souffla-t-il au visage, qu'est-ce que tu crois ? Que c'est toi qui commandes ? Pauvre gouine prétentieuse.

Morgan tentait désespérément d'ouvrir la main de l'homme qui l'empêchait de respirer. Il la lâcha. Cependant, au moment où Morgan ouvrait la bouche pour respirer, il lui porta un uppercut à l'estomac. Morgan descendit au tapis à ses pieds. Là, il lui botta presque amicalement le cul, deux, trois fois. Puis il fit à Lise un sourire de bête féroce.

« Toi, la chinetoque, tiens-toi bien tranquille ma belle, si tu veux pas que je te casse quelque chose !

Il se retourna vers Morgan roulée en boule à ses pieds et il lui asséna une longue série de coups de pied avec ses grosses chaussures, en dosant savamment pour ne rien lui casser. Il resta au-dessus d'elle en soufflant et il essuya son visage qui ruisselait, arrachant les derniers lambeaux de son masque et des gouttes de sang à demi coagulées. Il lui siffla entre ses dents :

« Hey, la gouine ! T'aimes ça, dis ? Moi, j'adore ! Et je reviens quand tu veux, tu sais ! Demain ? Après-demain ? Je peux te casser un os par jour de la semaine si tu veux ! Je peux t'en faire chier ta mère, salope ! T'as compris ça ?

Sur ce, il lui flanqua une longue série de coups de pied dans les jambes avant de terminer par un coup nettement plus fort dans les reins et Morgan se retourna sur le ventre en grognant comme un chien blessé. Il se pencha alors pour lui arracher un long hurlement en lui enfonçant expertement l'ongle de son pouce dans l'interstice entre deux vertèbres.

Lise avait reculé pour attraper le blouson de Morgan en boule sur le sol. L'homme la regarda faire en fronçant les sourcils. Lise vit du coin de l'œil que Morgan l'avait vue aussi. L'homme se recula et continua à parler à Morgan :

« J'espère que tu as bien compris le message.

La main de Lise, tremblante, avait trouvé la poche et s'y glissait. Sur le carrelage, Morgan roula et se redressa. Une paume au sol, un genou, elle se leva avec un effort visiblement immense, sous les yeux stupéfaits de Lise dont la main se refermait sur le pistolet et qui tentait fébrilement d'extraire l'objet du blouson. Elle y parvint enfin. Vaguement intrigué, le salaud la regarda comme un chat face à une souris.

— Qu'est-ce que tu as là, ma petite gouine bridée ? Serait-il possible que tu aies ramassé mon Smith et Wesson en composite ? Maman, j'ai peur !

Il souriait narquoisement tandis que Lise cherchait la crosse et la détente avec fébrilité. Alors, Morgan se jeta sur lui pour faire diversion. Faisant preuve d'une facilité terrifiante, il utilisa et retourna contre elle toute la force qu'elle avait mise dans sa charge, et il la jeta au sol. Puis il sortit de sa poche la petite arme noire et il la braqua sur Morgan.

— Non ! cria Lise en le menaçant du pistolet.

Il changea sa visée d'un geste fulgurant de précision vers les yeux de Lise et il exécuta droit sur elle un pas chassé tout aussi rapide et inattendu. Elle sauta en arrière et hurla :

— Stop !

Il lui répondit par un sourire forcé et soudain, découvrant ses dents comme un chien qui va mordre. Derrière lui, Morgan se remettait sur pied. Lise vit qu'elle avait fait un effort inouï pour y parvenir. Le salaud les regarda alternativement. Il fronça les sourcils. Finalement, il pointa son arme vers Morgan. Il pencha la tête de côté. Considérant Morgan qui lui faisait face en titubant, il demanda à Lise :

— Et qu'est-ce que tu vas faire, petit cul, tu vas me tirer dessus ?

Il exécuta à nouveau vers elle un pas d'escrimeur. Lise recula instinctivement dans le mur. Morgan comprit alors que Lise ne parviendrait pas à décider de tirer sur lui, et donc que le salaud allait la désarmer le coup d'après. Elle rassembla ses dernières forces afin de bondir sur lui. Elle n'eut pas le temps de finir son premier pas. La douleur et l'obscurité fondirent sur elle, comme un train à pleine vitesse surgissant de la nuit du pire cauchemar, immense et terrifiant, impitoyable. Elle avait perdu connaissance avant d'avoir atteint le sol.